Quels souvenirs gardez-vous de vos années lycée ?
De très bons, j’ai toujours adoré aller à l’école. J’ai une sœur qui a 2 ans de plus que moi, mais nous étions dans les mêmes classes, car j’ai sauté une année de maternelle – en apprenant à lire par-dessus son épaule – et le CE2. Au lycée, ma sœur était une jeune fille "normale", qui allait en boum, alors que moi je partais en vélo avec mon Gaffiot sur mon porte-bagages pour faire des versions latines avec mes copines. Mais aller en boum me réjouissait autant que ma sœur ! En fait, à cette époque, il y avait 2 choses qui me plaisaient : les études et le sport. Pour rester investie dans mes études, j’avais besoin de me dépenser physiquement, il me fallait cet équilibre.
Avec vos 2 ans d’avance, ne vous sentiez-vous pas isolée parmi vos camarades de lycée ?
Non, parce que j’ai eu la chance de vivre et de grandir dans une petite ville de province et j’ai gardé les mêmes amis du collège au lycée. On se connaissait tous depuis longtemps et ils avaient l’habitude que je sois presque toujours la 1ère, ça ne leur posait pas de problème ; à moi non plus.
Vos parents suivaient-ils attentivement vos études ?
Mon père, ingénieur, et ma mère, maman au foyer, ne suivaient pas particulièrement mes études parce que je réussissais bien, ils me faisaient confiance. J’avais juste besoin de réciter mes leçons à ma mère. Je suis hyperperfectionniste, donc pendant toutes mes études, j’ai été une adepte des fiches de cours qu’on fait et qu’on refait : d’ailleurs mes copains de lycée puis de fac me les demandaient souvent !
Après le bac, vers quel métier souhaitiez-vous vous tourner ?
Je faisais de la gymnastique sportive en compétition, et donc je voulais devenir professeur de gymnastique. Mais après mon
bac, l’
INSEP [Institut national du sport, de l’expertise et de la performance] n’a pas voulu accepter mon inscription parce que j’étais trop jeune. En attendant d’avoir 2 ans de plus, il fallait donc que je choisisse une autre orientation. Je me suis dit que ce serait intéressant d’étudier la physiologie, l’anatomie, la biologie, des disciplines qui pourraient me servir en tant que professeur de sport, et je me suis inscrite en
médecine, à la
fac de Dijon. Finalement, je suis sortie major à l’issue de ma 1ère année, et j’ai décidé de continuer dans cette voie.
On vous surnomme "bac + 19". D’où vous vient ce goût des études ?
J’ai toujours eu un grand appétit de savoir et pendant mes études, j’avais un fonctionnement très simple : quand je trouvais une formation ou une spécialité qui m’intéressait, je m’y inscrivais, et je passais le concours. En général, ça marchait très bien, et tout se déroulait donc très naturellement. J’ai ainsi accumulé plusieurs spécialités et certificats différents. Quand j’ai été sélectionnée par le
CNES [Centre national d’études spatiales] pour devenir
astronaute, en 1985, je me suis dit que puisque j’avais été choisie pour travailler en tant que chercheuse sur ces missions spatiales, il fallait que j’en sois une vraie – sans doute encore un effet de mon côté perfectionniste… Donc j’ai repris mes études en parallèle de mon travail de médecin à l’hôpital, pour préparer un
DEA [diplôme d’études approfondies, devenu master 2 recherche] de biomécanique et physiologie du mouvement et décrocher un titre de docteur des sciences, option neurosciences.
Comment l’idée de devenir spationaute vous est-elle venue ?
Mon orientation fondamentale vers l’espace ne date pas des années lycée, elle est venue plus tard, même si en 1969, quand j’ai vu à la télé les premiers pas de l’homme sur la Lune, je me suis dit qu’il y avait quand même des aventures fantastiques à vivre dans ce monde… Une forte impression qui est restée dans un coin de ma tête et qui a ressurgi quand, beaucoup plus tard, médecin rhumatologue à l’hôpital Cochin [à Paris], je suis tombée sur cet appel à candidatures du CNES. À ce moment-là, il y a eu un déclic, une résonance et j’ai envoyé mon dossier.
Que ressent-on la première fois qu’on s’envole dans l’espace ?
C’est très différent de ce qu’on voit dans les films ! C’était la réalité, ma réalité, j’étais là pour accomplir une mission et tenir mon rôle. Au moment de m’envoler, j’étais dans mon "trip", ce n’était pas un rêve qui se réalisait, c’était ma vie tout simplement, j’y étais prête et je m’y sentais bien.
Aviez-vous quand même conscience du caractère exceptionnel de votre parcours ?
C’est à la conférence de presse de présentation des astronautes que j’ai réalisé que nous étions 7 sur l’estrade et que j’étais la seule femme. Ma chance, c’est que personne ne m’a dit : "Ce n’est pas pour toi", et surtout pas mes parents. Du coup, je ne me suis jamais censurée dans mes choix : à chaque nouvelle étape, je me suis dit : "Et pourquoi pas moi ?", et c’est ce qui me donnait l’énergie et l’audace pour me lancer et tenter ma chance.
Avez-vous parfois douté de vos choix d’orientation ?
Non. Jusqu’à 20 ans, je ne me suis pas vraiment questionnée, j’étais très occupée par les études. Évidemment, j’ai connu des moments difficiles, par exemple à la Cité des étoiles, lors des heures de simulation, coincée dans un scaphandre lourd et gonflé qui fait mal partout, ou plus tard, dans mes fonctions ministérielles. Dans ces cas-là, il faut relever la tête et regarder au-delà du chemin, pour préparer l’étape d’après. La curiosité est un atout parce que c’est elle qui permet d’avancer.
Quels conseils donnez-vous aux jeunes que vous rencontrez ?
La 1ère chose, c’est de ne pas se limiter aux stéréotypes des métiers tels qu’ils sont encore véhiculés. Il faut être curieux, et ne pas se contenter d’accepter la représentation d’un métier telle qu’elle nous est renvoyée. Il faut se frotter à la réalité des métiers et des carrières, aux personnes qui les exercent, et ne pas faire simplement un choix livresque. Pour parler de métiers que je connais bien, chercheur et ingénieur, il faut savoir que ce sont aussi des métiers de création, riches, épanouissants, et qu’ils ne correspondent pas à leur image froide et strictement disciplinée.
Vous insistez aussi beaucoup sur les choix d’orientation des filles…
Aujourd’hui, il n’y a presque plus de portes fermées aux filles. Encore faut-il avoir l’audace de les ouvrir ! C’est ce que j’ai fait le jour où j’ai envoyé mon dossier de candidature au CNES, et plus tard… Médecin, ingénieur, chercheur, ministre, responsable d’établissement : je ne me suis jamais gênée pour pousser toutes ces portes. Rien ne sert d’attendre que la chance nous soit servie sur un plateau. Mais l’audace ne suffit pas : il faut un bagage, c’est-à-dire des études, et de la sagesse. À 20 ans, on n’en a pas forcément beaucoup, il faut donc savoir s’entourer, écouter, questionner.
Si c’était à refaire…
J’écouterais davantage les cours de philo. Aujourd’hui, dans mon environnement de travail, je suis amenée à réfléchir sur le sens des choses, sur la transmission des connaissances, et je regrette d’avoir raté cette partie-là de mes études. J’étais plutôt une matheuse et comme je réussissais bien dans les matières scientifiques, je délaissais un peu la philo, d’ailleurs je n’y comprenais pas grand-chose. Mais je rattrape mon retard en lisant énormément, de tout : je dois être l’une des meilleures clientes d’Amazon.fr !
Biographie
1957 : naissance le 13 mai au Creusot (71).
1972 : à 15 ans, elle décroche un bac C (actuel bac S) et s’inscrit en médecine.
1985 : médecin à l’hôpital Cochin, elle est l’un des 7 spationautes sélectionnés par le CNES.
1996 : 1er vol spatial à bord de Soyouz, puis au sein de la station orbitale russe MIR.
2001 : 2ème mission sptiale à bord de l’ISS (International Space Station).
2002 : est nommée ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies.
2004 : est nommée ministre déléguée aux Affaires européennes et secrétaire générale de la Coopération franco-allemande.
2010 : devient présidente d’Universcience, structure publique regroupant les établissements de la Cité des sciences et de l’industrie et du Palais de la découverte.